Psychologie jungienne et bouddhisme de Nichiren https://www.academia.edu/3228187/Jungian_Psychology_and_Nichiren_Buddhism_Two_Paths_of_Awakening ©2013, Richard H. Wilson, Jr. |
La psychologie jungienne et le bouddhisme de Nichiren que je pratique en tant que membre de Soka Gakkai International (SGI) offrent un modèle de transformation de soi et, par ce biais, de transformation sociale. Je voudrais esquisser ici quelques similitudes et différences entre ces deux approches. Ce faisant, je n'essaie pas de réduire l'une à l'autre, ni de les fusionner de manière quelconque. Les deux sont des discours complexes, subtils, puissants et efficaces. Les deux nous encouragent et nous incitent à vivre de manière à accroître et à approfondir un bonheur épanoui, basé sur l'intériorité ; et ce, en ce qui concerne notre propre vie et celle des autres. Pour y parvenir, tous deux décrivent un certain processus. Tous deux s'autolimitent : c'est-à-dire que chacun affirme que ses constructions ne peuvent pas aller plus loin dans l'élucidation de la réalité. Tous deux s'ouvrent sur le Mystère, à la limite du dicible. Tous deux exigent donc de nous un certain courage, une certaine foi, découlant de ce Mystère et nous reliant à lui ; si nous voulons nous y engager de la manière la plus positive et la plus créatrice de valeur possible. Tous deux nous demandent de nous redéfinir comme plus qu'un ego encapsulé dans la peau, de nous considérer comme une partie intrinsèque de ce Mystère, et voir ce Mystère comme une partie intrinsèque de l'humanité. Bien sûr, il y a aussi des différences. La plus importante à mes yeux est que le bouddhisme de Nichiren se présente comme étant à la fois un véhicule de transformation individuelle et un mouvement social actif. L'aspect "mouvement social" de la psychologie jungienne me semble nettement moins prononcé. Cette distinction fondamentale en appelle d'autres que j'aborderai brièvement ci-dessous. Je suis bien conscient, et à mon grand regret, de mon manque d'expertise en matière de psychologie jungienne. La rédaction de cet essai m'a permis de progresser et de mieux organiser, ne serait-ce qu'un peu, mes connaissances. Je offre cela maintenant comme une première esquisse d'idées que j'espère aborder avec plus d'habileté, de maitrise et plus longuement dans mon prochain livre. Je demande et apprécie l'indulgence de mes lecteurs. Le pourquoi et le comment Pourquoi la transformation et la croissance personnelles sont-elles possibles ? Le bouddhisme de Nichiren, basé sur le Sutra du Lotus, enseigne que tout le monde possède l'état de bouddha. Il est présent en chacun mais il convient de l’activer. ” (http://www.sgilibrary.org/search_dict.php). Notez bien qu’il est question seulement de potentialité, aussi universelle soit-elle. La foi, la pratique pour soi et pour les autres et l'étude sont les moyens d'activer cette potentialité. Le moyen fondamental, la racine de tout, est la foi. Elle s’origine dans la nature même de bouddha que nous cherchons à rendre manifeste. En fait, la foi totale dans la vie est la bodhéité. La foi est en même temps la cause et l'effet de l'atteinte de la bodhéité. Par sa nature, la foi n'est vivante que si elle est continuellement mise à l'épreuve et se développe. La foi se vit par son ancrage continuel dans la pratique et l'étude, dans le monde concret, au sein d'une communauté bouddhiste solidaire qui permet à cette croissance de s’épanouir pleinement. Ainsi, la bodhéité - comme la foi - est intrinsèquement un processus, un chemin, une façon d'être, et non un objectif fixe. La bodhéité "veut" se manifester en chacun de nous. Comme l'a dit Daisaku Ikeda, chacun de nos désirs contient au plus profond ce qu'on appelle l’aspiration religieuse : le désir d’identité fondamentale avec le Bouddha. En ce sens, la souffrance peut aider à faire surgir le désir de spiritualité souvent invisible. Affronter la souffrance dans cette perspective transforme la souffrance. Ikeda a appelé ce changement de perspective "transformer le karma en mission". En être capable est à la fois un indicateur fort de progrès significatifs de développement et le signe que l'on a réussi à se libérer de l'emprise du karma. C’est une puissante motivation pour accélérer le rythme de l’épanouissement. La psychologie jungienne postule l'existence du Soi (avec une majuscule, das Selbst en allemand). Dans le corpus jungien, il s'agit d'un archétype ambigu. D'une part, il représente la personne que nous sommes censés être, pleinement intégrée (consciente et inconsciente), pleinement réalisée, pleinement humaine. En ce sens, le Soi a beaucoup de points communs avec l'idée d'une bodhéité innée. Comme la foi, il est à la fois le moteur du processus d’auto-réalisation et son résultat. D'un autre côté, le Soi peut être compris comme étant incomplet. Dit autrement, le Soi a sa propre Ombre. Je ne suis pas sûr de ce que cela signifie en pratique. Nous demande-t-on de porter le Soi à son plus haut niveau, en tout en intégrant son Ombre ? Ou bien le Soi doit-il être compris comme étant aussi bon que possible, son Ombre restant de manière inhérente et permanente hors de portée de la conscience? Toutes les manifestations de l'Ombre nous invitent à intégrer dans la conscience un aspect de notre personnalité qui, jusqu'à présent, a été refoulé, avec cependant la compréhension implicite que l'intégration ne peut aller que jusqu'à un certain point. Il y a des profondeurs dans l'inconscient collectif qui sont en effet à jamais hors de portée. Le Soi, tel que je le comprends, est notre personnification la plus complète possible de l'intégration du conscient et de l'inconscient collectif. C'est le mieux que nous puissions avoir, mais le Soi, dans un certain sens, est à jamais incomplet. Peut-être que la notion d'une Ombre du Soi est un moyen de faire comprendre que, aussi merveilleux et complet que soit le Soi, son Ombre n'est pas la même chose que l'Ombre du Moi. Il est impossible de rendre conscient tout ce qui existe. Présumer le contraire, s'identifier de manière excessive au Soi sans Ombre, équivaudrait à une sorte d'auto-inflation, nous faisant penser que nous sommes des gens extraordinaires, que nous avons atteint quelque chose qu’en fait nous n'avons pas. De telles inflations peuvent être une partie inévitable du développement personnel, mais elles doivent être traversées et dépassées si l'on veut être en mesure d'atteindre les objectifs que l'on s'est fixés. Et puisque l'intégration complète du Soi avec son Ombre est impossible, il n'y a pas de moment où l'on peut dire : "J'y suis arrivé, je suis allé aussi loin qu'on puisse aller". Le meilleur de nous-mêmes n'est possible que si nous sommes prêts à faire l’effort de continuellement de grandir. Ainsi, tout comme dans le bouddhisme, la réalisation de l'individu est toujours un travail en cours, un processus, et non une fin en soi. A côté du Soi, Jung propose ce qu'il appelle une fonction transcendante issue de l’union des contenus conscients et inconscients. C’est une tendance innée, presque un besoin impérieux d'intégrer la conscience de notre ego à notre inconscient individuel et collectif. Comme dans la description bouddhiste ci-dessus, il y a deux façons de s'engager vis-à-vis de la souffrance. Si nous ignorons ou refoulons notre fonction transcendante, alors la souffrance se poursuit sans signification et sans fin. Mais si, en reconnaissant cette fonction et en travaillant sur elle, nous reconnaissons que la souffrance nous invite à nous éveiller à notre capacité d'intégration psychique, la souffrance devient alors un vecteur de croissance. Modes d’expression de l'esprit Le bouddhisme de Nichiren, qui puise ses racines dans la tradition bouddhiste chinoise Tiantai, distingue l'existence de neuf consciences. ("Conscience" n’a pas ici le même sens que chez Jung. Il serait plus juste de les appeler "niveaux de la psyché".) Dans un sens, il s'agit de strates, mais qui seraient toutes pleinement présentes à chaque instant et constamment en interaction à différents niveaux de conscience et d'inconscience. Les neuf consciences sont les suivants : La huitième conscience possède également ce que l'on pourrait appeler - en empruntant le terme à la biologie cellulaire - une membrane semi-perméable. C'est-à-dire que les huitièmes consciences de tous les êtres humains, de toutes les choses (oui, même les objets insensibles possèdent une conscience) sont ouvertes les unes aux autres et interconnectées. Le karma peut être individuel, certes, mais il peut aussi être collectif, partagé au-delà de toute frontière. Il est important de noter que les activités des sept premières consciences nourrissent et actualisent constamment le contenu de la huitième conscience - le "karma" étant ici interprété comme l'effet des causes et des conditions - mais que l'influence s'exerce également dans l'autre sens. La huitième conscience façonne et contraint notre appréhension de ce que nous sommes : nos fonctions autonomes, notre façon d'intégrer les données sensorielles, notre manière de penser et d'entrer en relation avec le monde, notre comportement, Le terme "karma" est pris ici au sens de "cause" ; la cause et l'effet sont tous deux des interprétations bouddhistes courantes du terme "karma". Le karma est à la fois l'effet de ce qui s'est passé avant et la cause de ce qui va suivre. La grande question qui se pose ici est de savoir comment opérer un changement fondamental dans les tendances enracinées de sa vie. Les schémas karmiques, qu'ils soient positifs ou négatifs, ont tendance à se perpétuer et à façonner l'avenir. Les premières traditions bouddhistes enseignaient donc que la transformation d'une personne ordinaire en bouddha, c’est-à-dire en une personne perçue comme exempte de tendances négatives et d’illusions, était un processus extrêmement difficile et prenait de très nombreuses vies. Plus tard, la plupart des traditions Mahayana comptaient sur la bonté d’un « Autre » étranger pour rendre ce processus plus accessible. A condition, bien entendu, que nous ayons pratiqué correctement, un magnifique Bouddha, venu d’un autre monde, pouvait au moment de la mort nous emporter dans sa Terre Pure quelque part dans l’univers où nous pourrons pratiquer sans les effets négatifs de nos entraves karmiques. E. La neuvième conscience est fondamentalement pure, illimitée et éternelle, présente à chaque instant en tout lieu et qui harmonise et intègre tous les phénomènes. Mais elle est généralement occultée par les détritus karmiques de notre huitième conscience. Avec la neuvième conscience, les choses sont soudainement très différentes. Il s'agit maintenant de pénétrer au-delà des huit premières consciences et accéder directement à la neuvième conscience, s’est à dire à "tirer" la neuvième au-dessus de tout, fixant sur elle toute notre attention et conscience. Cela peut être accompli à tout moment. Prenons ce moment, par exemple. Un bouddha est quelqu'un qui comprend que sa vie est fondamentalement cette neuvième conscience. En ce sens, la neuvième conscience correspond à la nature de Bouddha, à son intégration dans la vie consciente, à la bodhéité elle-même. Qu'entend-on ici par "intégration" ? Lorsque l'"énergie" de la neuvième conscience pénètre la huitième, elle remodèle les "courants" de la huitième (les mots nous manquent vraiment ici) dans des directions plus positives. L'expiation karmique est beaucoup plus rapide ; beaucoup peut être accompli en une seule vie. Et surtout, il n'est pas nécessaire d'expier tout son karma pour devenir bouddha. En effet, les causes-effets karmiques de la vie ordinaire d'une personne ordinaire constituent le terreau nécessaire à l'enracinement et à l'épanouissement de la bodhéité. Sans ces causes-effets karmiques, il n'y a pas de motivation, pas de raison de pratiquer, et donc pas de résultat. Ainsi le Nirvana, n’est pas la fin de la participation au cycle des renaissances mais est radicalement réinterprété pour signifier un état que l'on peut expérimenter ici et maintenant. Le nirvana est la bodhéité. Pour Nichiren, le moyen d'accéder à la puissance de la neuvième conscience et de l'exploiter est la psalmodie de Nam-myoho-renge-kyo. "Nam", abréviation de "namu", est la translittération du mot sanskrit "dévotion" ; "Myoho-renge-kyo" est à la fois le titre et l'essence du Sutra du Lotus. Pour plus d’efficacité il convient de psalmodier ces mots (mantra) en face d’un mandala inscrit par Nichiren - ou une copie – appelé Gohonzon (“honzon“ signifiant objet de culte, le suffixe go étant honorifique). Le Gohonzon inscrit en caractères chinois décrit l’inclusion mutuelle des dix mondes-états. J’y reviendrai plus bas. Notons également une autre implication. En changeant notre karma individuel négatif par ce type d'activité, nous modifions également le karma collectif négatif. C'est la base de l'affirmation de Nichiren selon laquelle la transformation profonde d'un seul individu peut finalement conduire à la transformation de la société Le modèle de Jung est à la fois simple et complexe. Il peut être décrit de différends points de vue. Voyons d’abord quelques termes utiles : 1) Esprit conscient, l’égo. C’est notre état habituel de conscience à l’état de veille, notre capacité de raisonnement et notre sentiment d'identité personnelle. Jung écrit : "J'ai défini... l'ego comme le point de référence central de la conscience". (Jung 1989, p. 10). 2) L'inconscient personnel. Robin Robertson l'a défini comme suit : "L'inconscient personnel contient les souvenirs que nous avons accumulés au cours de notre vie personnelle et qui ne sont jamais devenus conscients ou qui l'ont été par le passé mais sont maintenant relégués sous la conscience. Nous constatons que dans la vie, il n'y a pas de véritable frontière entre la conscience et l'inconscient personnel ; les souvenirs, les sentiments, les pensées se déplacent communément de l'un à l'autre." (Robertson 2011, p. 22) 3) L'inconscient individuel est la demeure des complexes. Robertson poursuit : "[Jung] pensait que la psyché organisait intrinsèquement les questions émotionnelles en complexes, qui prenaient alors inévitablement une forme personnifiée. Tout changement dans la psyché s'opère par la formation de ces figures intérieures et de l'engagement de l'ego conscient avec elles à travers les rêves et les fantasmes" (Robertson 2011, p. 68). Les complexes sont construits autour d’archétypes ; nous y reviendrons dans un instant. 4) L'inconscient collectif est une vaste strate souterraine de la psyché, qui "semble contenir toute l'histoire non seulement de notre espèce, mais aussi de toute vie". (Robertson 2011, p. 22). Il peut être subdivisé en deux parties : celle qui peut, moyennant un effort, être amenée à la conscience, et la partie la plus profonde, qui ne peut jamais l'être. 5) Archétypes. Ce sont des "composants" profonds et structurants de la psyché, qui se manifestent parfois sous forme d'instincts, parfois sous forme de symboles, "endossant le costume du moment dans chaque vie individuelle et chaque ère culturelle et imprégnant chaque expérience, chaque cognition et chaque vision du monde". (Tarnas 1991, p. 385) La conception des archétypes de Jung a évolué de manière significative dans les dernières années de sa vie, principalement grâce à son étude de la synchronicité, la manifestation acausale (terme de Jung) des archétypes, tant dans la psyché que dans l'environnement. Jung a commencé par une conception des archétypes comme étant des modèles autonomes et structurant de sens qui participent à la fois de la psyché et de la matière, réfutant ainsi la dichotomie sujet-objet de son temps. Dans cette optique, les archétypes étaient plus mystérieux que les catégories a priori - plus ambigus dans leur statut ontologique, moins réductibles à quelque valeur spécifique, plus proches de la conception des archétypes platonicienne et néoplatonicienne. (Tarnas 1991, p. 425) 6) La libido. Une sorte d'"énergie vitale" qui circule dans la psyché, "à la recherche de l'équilibre et de l'harmonie" ; elle "se manifeste à l'égo sous forme d'images [et semble donc être étroitement liée aux archétypes qui se manifestent sous forme de symboles], et ce grâce au pouvoir créatif de l'imagination... Les symptômes névrotiques et les complexes [destructifs] sont provoqués lorsque ce flux est endigué ou bloqué pour quelque raison" (Jacoby, 1973). J'ai trouvé sur le site http://www.schuelers.com/ChaosPsyche/part_1_17.htm une représentation visuelle utile du modèle de Jung selon sept perspectives différentes (n’existe plus). Bien que tous les éléments décrits ci-dessus soient présents dans l'une ou l'autre image, aucune ne les contient tous. Leur étude m'a permis de mieux comprendre à quel point la conception jungienne globale de la psyché était riche et dynamique ; essayer de la réduire à un seul diagramme serait au mieux une erreur, au pire malhonnête. Les modèles bouddhiste et jungien s’appuient tous deux sur le fonctionnement mental conscient et inconscient, bien que le modèle bouddhiste n'utilise pas ces termes. La ressemblance des septième et huitième consciences du bouddhisme avec les inconscients personnel et collectif du modèle de Jung est frappante. Je crois que c'est le deuxième président de la Soka Gakkai, Josei Toda, qui a introduit les termes "grand moi" et "petit moi". Le "petit moi" correspond assez bien à l'égo et au sentiment d’être, créés dans l'esprit d’une personne et entretenus jusqu’à la septième conscience. La notion du "grand moi" est assez proche du Soi jungien. Le but de la pratique bouddhiste est d’activer notre grand moi - ou moi cosmique -, notre bodhéité innée, notre neuvième conscience inhérente. Mais cela n'implique pas l'anéantissement du petit moi, comme l'affirmaient certaines traditions bouddhistes anciennes. L'objectif est plutôt de fonctionner dans le monde réel en tant que personne individuée, tout en manifestant son grand moi. De même, je n'ai pas l'impression que Jung ait enseigné que nous devions, d'une manière ou d'une autre, devenir entièrement notre Soi mais plutôt que l'ego et le Soi devaient fonctionner en harmonie, en symbiose, afin que chacun puisse donner le meilleur de lui-même, se réaliser pleinement. C’est dans ce sens que les deux modèles me semblent similaires. Il convient également de rappeler que dans la pensée de Nichiren les archétypes se présentent sous la forme de divinités bouddhistes. Moine japonais médiéval, Nichiren se sert de la panoplie variée et colorée de dieux, démons, diables, dragons, etc. comme d’entités réelles capables d'exercer une influence considérable sur le monde ; en bien ou en mal. Il s'y réfère souvent. Un point essentiel du Sutra du Lotus, également souligné par Nichiren, est que lors d'une cérémonie spectaculaire décrite dans les chapitres centraux du Sutra, tous ces êtres, ont fait le vœu de protéger et de soutenir quiconque pratique et propage ses enseignements. Nichiren synthétise ces enseignements dans Myoho, (la Loi mystique) du mantra Nam-myoho-renge-kyo et dans le mandala Gohonzon. Ils sont inhérents à tous les phénomènes, qu’ils soient spirituels/mentaux ou physiques/matériels. En un mot, ils ne peuvent pas être dissociés. Ainsi, la foi bouddhiste qui s’exprime par la pratique soutenue par l'étude, est considérée comme permettant ( ou, dans un sens, exigeant) que toutes les divinités bouddhistes se manifestent en nous de manière positive. Aujourd'hui, au sein de la SGI, lorsqu'ils fonctionnent de cette manière, nous les qualifions "forces protectrices" plutôt que de "dieux". (Il est intéressant de noter qu’en 1991, après sa séparation d’avec une tradition sacerdotale connue sous le nom de Nichiren Shoshu, la SGI a révisé les prières silencieuses offertes lors de notre pratique quotidienne mais a gardé l’offrande de remerciement aux dieux bouddhistes / forces protectrices. Ce qui implique une certaine personnification, et peut-être, à ma grande surprise, une extériorité de ces forces. Puisque dans le bouddhisme de Nichiren il est essentiellement question de fonctions de la Loi mystique, je me suis demandé pourquoi nous continuions à mettre à part cette offrande. Une curieuse réponse m’a était donnée lorsque j'ai visité l'Inde en 2006 dans le cadre de deux voyages d'affaires. J'ai pu rencontrer des membres indiens de la SGI, assister à des réunions et leur rendre visite chez eux. Ce fut une merveilleuse expérience. Juste avant l'une de ces rencontres, j'avais visité en touriste, un temple hindou (où on m'a volé mes chaussures, mais c'est une autre histoire). J'avais observé que les gens se rendaient au sanctuaire de tel ou tel dieu particulier, lui faisaient des offrandes et priaient pour qu'il intervienne en faveur d'un désir ou d'un objectif. J'ai demandé à l'un de mes hôtes, un leader de la région, quelle approche il adoptait pour propager le bouddhisme dans un tel milieu. Il m'a répondu : "Je dis aux gens que s'ils veulent vraiment que ces dieux œuvrent pour eux, ils doivent pratiquer Loi merveilleuse". (Ah !) En tous cas, cette approche me semble, une fois de plus, remarquablement similaire à celle de Jung. Alors que nous nous engageons dans l'intégration psychique, les archétypes se manifestent dans nos rêves, nos fantasmes et notre environnement pour nous aider à nous adapter à notre vécu. Si nous refusons ou ignorons le chemin d'intégration, ces mêmes schémas nous font souffrir. Bien sûr, j'ai fait remarquer dans ma discussion précédente sur la souffrance que celle-ci peut également être positive, en fonction de notre attitude et de notre ouverture d’esprit. Dans ce sens, tous les archétypes “ont l'intention“ d'être positifs ; c'est notre manque de bonne volonté pour suivre leur direction en soutien à notre fonction transcendante, qui est à l'origine de la souffrance. Que l’on s'engage dans la voie jungienne d'intégration psychique ou dans une pratique bouddhiste sincère cherchant à manifester sa bodhéité innée, le résultat, d'un point de vue archétypal, semble être le même : les dieux deviennent nos alliés. Un processus fluide L'un des concepts fondamentaux du bouddhisme de Nichiren est celui de l’inclusion mutuelle des dix mondes-états. Chacun des dix mondes-états représente un certain vécu. Chacun peut être considéré de deux points de vue : comme un monde qui est notre tendance de vie personnelle dominante; et comme un état de vie fugace, surgissant depuis notre potentiel à un instant donné comme une "coloration" éphémère, changeante et fluide d’un moment de vie particulier. Dans la première perspective, il existe une hiérarchie bien définie : certains mondes sont considérés comme préférables à d'autres en tant que tendances majeures. Mais du second point de vue, il n'y en a pas vraiment d’hiérarchie. Chaque monde-état contient tous les autres (inclusion mutuelle). Ainsi, tout monde-état dominant peut devenir à un moment donné, n'importe quel autre monde-état, selon nos causes karmiques internes (rappelez-vous les neuf consciences, en particulier la huitième et la neuvième) et des conditions extérieures. Les neuf premiers mondes - enfer, avidité, animalité, colère, humanité, joie passagère, étude, éveil personnel, bodhisattva - représentent la vie du commun des mortels. Le dixième monde-état est la bodhéité. Ainsi, en tant que communs des mortels, à tout moment, quel que soit le monde-état dans lequel nous nous trouvons, nous pouvons atteindre l'état de bouddha (ou y rester), si les causes et les conditions adéquates sont réunies. Le but de la pratique dans la tradition nichirénienne est de consolider la bodhéité comme notre tendance dominante. Lorsque nous y parvenons, les neuf mondes-états, même les plus bas et les moins désirables, deviennent des mondes de bouddha "illuminés par les cinq caractères de la Loi Mystique [Myohorenge-kyo]. Ils manifestent alors les qualités bénéfiques qu'ils possèdent intrinsèquement". (Nichiren 1999, p. 832). Les souffrances de l'enfer peuvent approfondir l'empathie et la compassion. On peut être avide de bodhéité, ce qui motive la pratique ou bien éprouver de la colère face à l'injustice et aux souffrances inutiles dans le monde, ce qui renforce la pratique pour les autres. Et ainsi de suite. J’ai déjà parlé de la cause fondamentale qui permet d'accomplir ce réalignement de la tendance dominante dans la direction de la bodhéité : réciter Nam-myoho-renge-kyo devant le Gohonzon avec la foi dans le résultat. Il existe également des causes complémentaires et des conditions appropriées. Pratiquer pour les autres, et pas seulement pour soi. Il faut étudier bien sûr les enseignements du bouddhisme comme base, mais aussi les enseignements d'autres sages, en dehors de la tradition bouddhiste. Il faut honorer, protéger et cultiver un esprit de recherche à l'égard des trois trésors : le Bouddha, le Dharma (l'enseignement) et - ce qui peut être surprenant - la communauté des croyants. Il convient de s'efforcer de pratiquer dans l'unité de ce que Nichiren appelait "plusieurs corps - un seul esprit", avec ses coreligionnaires dans la poursuite du grand objectif de Kosen-rufu, la paix et la prospérité généralisées qui sont enracinées dans les véritables enseignements du Bouddha. Et, en tant que pilier central de cette unité, il faut chercher un mentor bouddhiste, s'efforcer d'apprendre de lui ou d'elle, et s'engager pleinement dans la voie de Kosen-rufu, en partenaire à part entière du mentor. De même que ces efforts sont des causes de soutien, le Gohonzon, la communauté des croyants et le mentor sont des causes de progrès. Essayez donc de réunir tout cela ! Je ne vois pas d’hiérarchie de valeurs comparable aux dix mondes-états dans la psychologie de Jung - autre que, peut-être, le Soi fonctionnant comme le monde de la bodhéité, à la fois comme source et but d'individuation - mais la fluidité impliquée par leur implication réciproque semble pleinement présente. Il n'y a tout simplement pas de chemin déterminé vers une psyché intégrée. Dans les grandes lignes, on peut certainement décrire au moins deux "modèles" d'individuation selon Jung. Le premier, est en gros, celui du travail sur l'ombre, puis du travail sur l'anima/animus, suivi du travail sur le Soi. Le second est le processus alchimique auquel Jung a consacré la dernière partie de sa vie. Deux commentaires s'imposent cependant. Le premier est qu'aucune de ces approches ne décrit un chemin avec un début et une fin définis. Elles ne sont pas linéaires, mais plutôt en spirale. Elles tournent autour du Soi, s'en approchent de plus en plus, sans jamais l'atteindre. Jung a appelé ce processus "la circumambulatio du Soi". Deuxièmement, les détails particuliers du chemin d'individuation d'une personne sont aussi drastiquement uniques que l’est chacun d'entre nous. Les énergies archétypales utiles à un individu particulier à un moment donné sont activées, au contact des complexes de son subconscient personnel qui les attire. Ces archétypes s'habillent d’atours symboliques appropriés à ce moment de la vie. Et grâce à la fonction transcendante, se trouvent activées les oppositions particulières de la conscience et de l'inconscient, propres à ce moment particulier de la vie. Cette fluidité, cette particularité, cette imprévisibilité, à l'intérieur d'un cadre d'attentes large et fiable, est l'une des caractéristiques les plus attrayantes et les plus convaincantes de la psychologie jungienne. Cette relation d’équilibre entre le prévisible et l'imprévisible, le connu et l'inconnaissable, me semble correspondre à la possession mutuelle des dix mondes-états du bouddhisme. On pourrait peut-être décrire le Soi et la fonction transcendante comme la cause fondamentale et interne d'une individuation réussie. Quelles sont les causes et les conditions pour faciliter l’individuation ? L'imagination active, le travail sur les rêves et les fantasmes, le lien avec un thérapeute qui aide à guider le processus de manière bienveillante et encourageante, jamais dominatrice ; l’astreinte de se familiariser par l'étude avec le cadre de référence jungien afin d'accroître ses compétences en tant que maître de l'individuation ; tous ces éléments me paraissent valables. Jung (en 1978) fait également cette déclaration étonnante : "Le Soi ne devient pas conscient de lui-même... Puisqu'il représente l'essence de l'individuation et que l'individuation est impossible sans une relation avec l'environnement, on le trouve parmi ceux qui ont le même esprit et avec qui il est en relation. [italiques ajoutées] (pp. 167-168). Qu'en penser ? Parle-t-il de la relation d'un patient avec son thérapeute ? Suggère-t-il de créer et d'entretenir des groupes jungiens avec ou sans thérapeute ? Jusqu'à quel point devons-nous interpréter "même esprit" ? Quelqu'un qui soutient l'idée du développement personnel, mais qui ne connaît pas ou n'est pas attiré par l'approche particulière de Jung? J'ai plus de questions que de réponses. Mais je trouve intéressant que l'idée d'une communauté, si centrale dans les approches bouddhistes de l’auto-transformation, semble trouver un écho ici. L'idée de mentorat, qui prévaut dans le modèle bouddhiste, peut être présente dans la relation thérapeute-patient, et je suis certain qu'elle joue son rôle dans la formation et le développement des thérapeutes. Dans un sens, un thérapeute agit comme un bodhisattva, avançant simultanément sur les chemins de sa propre individuation et de l'individuation du patient. Le thérapeute devrait, et je présume qu'il le fait généralement, soutenir le patient pour l'aider à dépasser sa propre individualité. Mon expérience du bouddhisme, cependant, m'incite à penser qu'il n’existe pas de modèle de thérapie commune à proprement parler. Tous les bouddhistes, qu'ils soient expérimentés ou nouveaux, mentors ou disciples, cherchent à pratiquer à la fois pour eux-mêmes et pour les autres, en tant que bodhisattva-bouddhas. Un psychothérapeute le fait également. Mais généralement le patient fait un travail uniquement pour et sur lui-même. Je peux attester que la pratique pour les autres dans le bouddhisme est l'un des moyens les plus puissants de faire progresser sa vie : la pratique pour soi et la pratique pour les autres se renforcent mutuellement. Je pense que les thérapeutes jungiens connaissent également cette synergie. Mais qu'en est-il des patients ? Existe-t-il un chemin, dans la pratique jungienne, qui permette de travailler au bénéfice des autres, alors même que les patients cherchent à surmonter et transcender leurs propres difficultés et limites ? J'imagine que la réponse peut être, dans certains cas au moins, affirmative. Je suis curieux de connaître la forme que peuvent prendre un tel chemin et une telle pratique conventuelle. Reflétant probablement la personnalité de son fondateur, la psychologie jungienne, pour autant que je le sache, ne comprend pas de pratique conventuelle. Mais je n’ai peut-être pas assez bien regardé et suis curieux de savoir ce que d'autres personnes plus familières avec le monde jungien pourraient avoir à en dire. J'arrive à la fin de mon exposé. J'aurais aimé en dire davantage - et surtout approfondir la question de l’intégration des mondes intérieur et extérieur – il y aurait encore tant à dire - entre autres sur la conception du bien et du mal dans les deux systèmes de pensée. Pour faire court : dans les deux cas, le bien et le mal sont perçus comme non duels ; dans les deux, le bien est associé à une sorte d'éveil, le mal à l'illusion). Mais je manque d'espace et de temps, je m'arrêterai donc ici. References Jacobi, J. (1973). The psychology of C. G. Jung: An introduction with illustrations. Bash, K. W. (Trans.). New Haven: Yale University Press. First published in 1942. [cited in Schueler & Schueler, 2001.] |
|